Photo : Jean-Claude Allègre devant le "Bora Bora", son superbe ketch de 28 m acheté en 2010. Mais rongé par les termites, le deux-mâts a été entièrement refait en 30 mois et remis à l'eau mardi.
Rencontre
« Ce qui se voit, ce sont les huit enfants qui partent en croisière. Mais ce qui ne se voit pas, c'est l'animation pour les 3 000 ou 4 000 enfants de vingt-cinq hôpitaux : ils suivent la croisière par des vidéos envoyées tous les deux jours pendant l'été. Et ça, c'est ce qui est le plus méritant ! » L'effet-levier : la philosophie de Jean-Claude Allègre pourrait bien correspondre aussi à cette formule énoncée avec le calme du Sage. À 73 ans, ce fringant self-made-man à la tête d'un groupe de 250 salariés (la holding Lacour, à Bourges), spécialisé dans l'informatique pour les métiers de l'automobile, n'aime pas la frime et préfère l'efficacité. L'homme au cheveu et à la barbe poivre-et-sel entend mener à bien le projet qui l'habite depuis qu'il est sorti, voici cinq ans, de quatre mois d'hôpital à Villejuif pour une grave maladie qui a nécessité une transplantation de foie.
En tandem avec les Matelots de la vie
Le septuagénaire, amoureux de voile depuis l'âge de 35 ans, s'émeut des enfants en détresse à l'hôpital, atteints par le cancer, les malades génétiques, orphelines : « Quand on est adulte, notre expérience nous permet de rêver dans les moments de découragements. Les enfants, eux, n'ont pas cette possibilité mais nous pouvons leur donner de quoi rêver : la voile, la mer, les dauphins... »
Le chef d'entreprise expose alors son idée de croisière à l'hôpital parisien des enfants malades, Necker. « Un cadre m'a écouté avec un petit sourire et a répondu qu'une association faisait la même chose, mais qu'elle recherchait un bateau ! »
Ni une ni deux, le patron de société court rencontrer à La Baule Françoise Levaux, la présidente de cette association, Les Matelots de la vie. Le projet de cette association créée en 2005 ? Il repose « sur l'interaction entre les enfants hospitalisés et les matelots embarqués. À l'hôpital, via le site Internet de l'association, les enfants reçoivent et résolvent, tous les jours, des énigmes en lien direct avec les thèmes des aventures vécues par les jeunes marins ».
La croisière devient un événement qui « sort l'enfant de sa maladie... Il va ainsi pouvoir retrouver l'espoir à travers des matelots ayant été, comme lui, en grand danger et maintenant en pleine forme ».
Voilà qui est parfait : le voileux s'occupera du bateau. Il revend son petit voilier et achète, fin 2010, le Bora-Bora, magnifique deux-mâts de bois de 28 m construit en Turquie. Qui se révèle, hélas, rongé par les termites ! Il sera réparé une première fois pour honorer la croisière prévue de l'été 2011, avant d'être mis en cale sèche à La Turballe. Sa rénovation totale aura nécessité trente mois de chantier, 10 km de bois, une tonne et demie d'Époxy et beaucoup d'huile de coude... Le ketch a été remis à l'eau mardi matin et reprend la croisière, le 19 juin.
Une enfance difficile
La maladie, l'enfance malheureuse, Jean-Claude Allègre connaît. Né à Digne, il vit mal l'absence du père, devient orphelin de mère à 13 ans, finit ballotté entre les grands-parents paternels et maternels. L'ado est inscrit par un oncle militaire de carrière à l'école des enfants de troupe. « Je m'en suis enfui par le train et je ne suis plus revenu dans ma famille, sauf plus tard. »
L'enfant, livré à lui-même, couche durant plusieurs mois dans un squat à Lyon. Il finit par intégrer l'école des chemins de fer, fait son service militaire, se forme aux revêtements de peintures automobiles, et devient démonstrateur en peinture. Il progresse au point de devenir le responsable des ventes en Europe pour sa marque.
Suite à un accident de voiture, il démissionne et rachète une société de distribution de peinture pour auto. Puis, dans les années 80, il crée un groupe, la holding Lacour avec quatre filiales. Belle revanche sur la vie. « La pugnacité paye, il faut aller au bout de ses convictions », résume sans forfanterie l'autodidacte.
« Le Bora-Bora, c'est ma maison... partagée ! »
À la fin de l'année, Jean-Claude Allègre cédera son groupe à un collaborateur et devrait prendre la présidence des Matelots de la vie. Il consacrera tout son temps aux croisières sur le Bora-Bora, l'été, mais aussi à du charter, des locations du ketch pour des soirées, afin de dégager de l'autofinancement pour le bateau et son équipage (trois salariés).
Le Bora-Bora, c'est pour le mécène 1 million d'euros déjà injecté. Sans le moindre regret : « J'ai vendu mes SCI (société civile immobilière). Le Bora-Bora, c'est ma maison... partagée ! Et puis, comme m'a dit un jour ma grand-mère : tu ne verras jamais un coffre-fort sur un corbillard ! »
Le généreux marin se régale à l'idée d'embarquer à Saint-Nazaire, pour le record SNSM (Société nationale de sauvetage en mer) dans quelques jours, huit jeunes sortis de l'hôpital de Bourges. Cap sur Saint-Malo, puis Brest, puis les îles du Ponant... Deux fois trois semaines de croisière cet été. Du rêve pour nourrir les rêves de plus de 3 000 enfants assignés dans les services pédiatriques de Necker, Versailles, Nice, Saint-Nazaire ou Nantes...
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